3. Empathie

Iwata :

Motoyama-san, avez-vous ressenti une différence entre la conception d’un ordinateur ou d’une tablette et celle de consoles de jeu ?

Motoyama :

Je pense que vous ne les utilisez pas du tout dans les mêmes circonstances. Votre ordinateur reste sur votre bureau et vous utilisez un smartphone quand vous vous déplacez. Dans ce cas, vous utilisez Miiverse pour communiquer tout en jouant à un jeu vidéo. J’avais donc l’impression que c’était assez différent de ce à quoi j’étais habitué.

Iwata Asks
Kurisu :

Au départ, nous nous sommes beaucoup posé la question. Allait-on le poser et jouer aux jeux ou le tenir dans une main ? Suite à une suggestion de Mizuki-san, je proposai : « Plaçons un bouton ici. » Motoyama-san me répondit : « C’est vraiment utile ? » ou « Qui va s’en servir ? Et quand ? » (rires)

Motoyama :

C’est vrai. Désolé. (rires) J’essayais de me mettre en situation : « Quand un joueur pourrait utiliser ça ? » Lorsque je demandais : « Est-ce que quelqu’un utilisera vraiment ça ? », que j’y réfléchissais et que j’arrivais à la conclusion que ce n’était pas nécessaire, dans ce cas, j’essayais de faire passer le message avec honnêteté. J’ai réfléchi à la nécessité d’avoir des boutons et ça a changé ma vision de la chose.

Iwata :

Une fois le projet bien entamé, faisiez-vous encore des découvertes ?

Motoyama :

Lorsque nous sommes arrivés au début de la phase de débug, il y avait encore tant d’éléments qui faisaient encore l’objet d’aller-retour entre les équipes. Nous avions de nombreuses réponses. Je peux vous dire que c’était drôle.

Iwata :

C’était peu de temps avant la version définitive du produit.

Kato :

Oui. Au cours de la phase de test, nous avions mis en place une communauté Mario fictive et je lisais les commentaires. Mon idée avait beaucoup évolué et je me disais : « Oh, c’est donc ce que vous obtenez quand vous vous en servez dans un jeu. »

Kurisu :

Quelqu’un avait posté : « Je n’arrive pas à terminer ce niveau ! », et on lui avait répondu : « Tu dois monter sur Luigi. » Ensuite, le premier joueur avait écrit : « J’y suis arrivé. » En lisant ces échanges, je me suis dit : « C’est bien ça ! »

Yuzawa :

Je pense que les gens utiliseront Miiverse de tant de façons que nous n’avons pas encore imaginées. J’ai vraiment hâte de voir ça.

Iwata :

Les anciens services Internet étaient ainsi. Lorsque de nombreuses personnes se retrouvaient, on parvenait à un débordement créatif incroyable.

Kurisu :

C’est vrai. Au début, Flipnote Studio servait uniquement à évaluer les Flipnotes, mais c’est peu à peu devenu un service de discussion. De nombreux messages Flipnote disent en substance : « Si on chattait tous ensemble ! » et c’est ce qui est vraiment intéressant.

Iwata :

Je pense que vous aviez réalisé de gros progrès rapidement. Selon vous, quelle est la raison qui vous a permis d’aller si loin ?

Kurisu :

Eh bien, autrefois, Yuzawa-san travaillait à l’assurance-qualité du site Yahoo! Chiebukuro20. À mon poste précédent, j’étais affecté à l’assurance-qualité du service Jinriki Kensaku Hatena21. Nous étions dans le même secteur.20. Yahoo! Chiebukuro : service de partage des connaissances géré par Yahoo! Japan.21. Jinriki Kensaku Hatena : site Internet de questions et de réponses géré par Hatena Co., Ltd.

Iwata :

Vous étiez concurrents ! (rires)

Kurisu :

Exactement ! (rires) Lors de notre première rencontre, nous avons passé un certain temps à discuter de cette coïncidence. En résumé, sur l’aspect service Internet du projet, nous avions un certain bagage en commun dès le départ.

Iwata :

Vous commenciez avec un certain degré de confiance. Vous étiez dans un état d’« empathie ».

Yuzawa :

Oui. Ainsi, quand Mizuki-san venait discuter des spécifications, plutôt que de dire : « Je verrai avec Hatena », ce qu’il serait de coutume de dire, je pouvais prendre des décisions et lui répondre aussitôt en assurant : « Hatena devrait pouvoir s’en occuper. »

Iwata :

Vous répondiez à leur place ?! (rires)

Yuzawa :

Exactement, et quand je demandais confirmation à Hatena plus tard, nous étions sur la même longueur d’onde. Ayant tous deux travaillé dans le développement Internet, nous savions parfaitement ce qui était facile ou difficile à réaliser. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons pu progresser si rapidement.

Iwata Asks
Iwata :

Je vois. J’ai entendu Mizuki-san dire à plusieurs reprises combien c’était fantastique de vous avoir sur ce projet, Yuzawa-san. Tout est beaucoup plus clair aujourd’hui.

Kurisu :

Il régnait une grande confiance. Ils nous faisaient confiance aussi. Ainsi, plutôt que de discuter longtemps, puis de travailler au projet, c’était bien de pouvoir commencer en réalisant quelque chose, puis de continuer à travailler dessus à mesure que le projet avançait.

Iwata :

Ces rencontres fortuites sont vraiment étranges. Autrefois, vous réalisiez des services Internet concurrents, mais…

Yuzawa et Kurisu :

(se regardant) C’est vrai ! (rires)

Kurisu :

Nous avions également créé une salle de chat au sein même de l’environnement de développement. Si vous postiez quelque chose, une autre personne vous répondait aussitôt. C’est un peu comme si cette dernière était assise à côté de vous. Nous avons donc pu poursuivre notre travail sans ce sentiment de distance.

Motoyama :

Nous organisions plusieurs réunions par semaine afin de dire ce que nous pensions. Au fur et à mesure, nous sommes devenus une équipe, un peu comme si tous ceux de Nintendo faisaient partie d’Hatena ! (rires)

Kurisu :

Vraiment ? Ce n’est pas le contraire ? Comme si vous étiez des employés Nintendo ?

Motoyama :

Non, parce que c’est eux qui venaient nous voir la plupart du temps. Parfois, ils travaillaient juste derrière moi au bureau ! (rires)

Iwata :

Avez-vous tissé des liens uniquement parce que vous vous retrouviez souvent ? J’ai l’impression qu’il y a autre chose.

Kurisu :

Eh bien, c’est peut-être parce que je surnommais Motoyama-san, Kurage-san (M. Méduse). (rires)

Motoyama :

C’est vrai ! Cela a sûrement aidé que nous nous donnions tous des surnoms.

Kurisu :

Chez Hatena, nous nous appelons généralement par notre identification Hatena, et celle de Motoyama-san était Kudakurage (siphonophore). Je l’ai donc toujours appelé Kurage-san. Cela a peut-être permis de tisser des liens ? (rires)

Kato :

Oui, je ne me souviens pas des vrais noms de tout le monde !

Motoyama :

Ce n’est pas vrai !

Tous :

(rires)

Yuzawa :

Lorsque le projet était dans une impasse, je disais : « On campe ce soir ! » J’employais les mots « ce soir », mais nous nous entassions tous dans une salle pendant une journée et nous nous concentrions sur le travail. Je crois que tout s’est bien passé parce que nous pouvions faire ce genre de chose sans problème.

Kurisu :

Au début, nous développions ce projet dans un appartement loué par Hatena que nous appelons Crema. Les gens de Nintendo l’aimaient tellement qu’ils disaient : « C’est sympa de venir ici !»Note de la rédaction : Crema est l’abréviation de « Creator’s Mansion » (appartement du créateur). Au Japon, le mot « mansion » désigne un appartement.

Yuzawa :

Cela revenait à faire entrer une dizaine d’adultes dans un deux-pièces ! (rires)

Kato :

Ensuite, nous sommes allés à leur vrai bureau pour la vraie phase de développement. Les chaussures ne sont pas interdites, mais j’ai remarqué que tout le monde les enlève tout de même. J’ai demandé si nous devions enlever nos chaussures nous aussi, mais on nous a répondu que nous n’étions pas obligés.Note de la rédaction : les Japonais enlèvent leurs chaussures chez eux, mais les gardent au bureau.

Kurisu :

On enlève nos chaussures parce que le premier groupe de développeurs travaillait toujours dans ce petit appartement. C’est un peu comme si on n’arrivait pas à se motiver en gardant nos chaussures ! (rires) Seuls ceux qui veulent enlever leurs chaussures les enlèvent. Cela ne posait pas de problème de les garder.

Kato :

Mais nous voulions aussi les enlever en fait ! (rires)

Kurisu :

Ah bon ? (rires)

Iwata :

À une époque, HAL Laboratory22 se trouvait également dans un appartement, quand j’y travaillais. Je ne crois pas que je pouvais programmer en gardant mes chaussures ! (rires) En revanche, j’adorais pouvoir me concentrer sur quelque chose du matin au soir. Je passerai peut-être vous voir.22. HAL Laboratory, Inc. : studio de développement de jeux vidéo qui a, entre autres, travaillé sur les séries Kirby et Super Smash Bros. Satoru Iwata a été président de cette société.

Iwata Asks
Kurisu :

Oui, n’hésitez pas ! (rires)