2. Des fonctions sources d’idées

Iwata :

La sortie de Twilight Princess était à l'origine prévue pour la fin de l'année 2005, mais alors que nous approchions de la date butoir, nous avons décidé de reporter le projet d'un an. C’était comme de reculer la ligne d’arrivée alors que vous allez la traverser. Je pense que couplée avec le développement de la version Wii, cette décision a été la source de nombreuses difficultés. J’aimerais savoir comment vous avez vécu ce report d’un an et quel impact a eu la prolongation du développement. Bien, commençons par Oyama-san.

Oyama :

Quand le report de la date limite du projet a été confirmé, j’étais partagé entre le soulagement d’avoir plus de temps pour créer plus de choses dans le jeu, et l’idée qu’il allait falloir travailler une année supplémentaire. Finalement, c’est la joie de pouvoir créer plus de choses qui l’a emporté. C’est la première diffusion de la vidéo de Twilight Princess, à l’E3 de 2004, qui a fait pencher la balance, quand j’ai ressenti l’intensité de l’attente des joueurs.

Iwata :

C’est vrai que, pour les joueurs du monde entier, c’est le plus attendu de tous les Zelda. Cela a dû faire peser une pression énorme.

Oyama :

Non seulement cela, mais le développement nous a demandé encore plus de travail que pour Ocarina of Time. De plus, plutôt que de bâcler pour tout finir à une date précise, je voulais avoir le temps de bien faire les choses.

Iwata :

Et pour vous, Nishimori-san ?

Nishimori :

J’étais content de savoir que nous aurions plus de temps pour peaufiner le jeu. Pour un projet de l’ampleur de Zelda, il y a tellement de choses que vous pouvez toujours perfectionner que le développement ne s'arrête que parce que la date butoir est arrivée. Il est impossible de finir en avance sur le planning. C’est le genre de projet que l’on peaufine jusqu’à la dernière minute. Ici, on ne parlait plus de modifications de dernière minute, mais de la possibilité d’ajouter une tonne de nouveaux éléments. Donc, plus j’avais de temps, plus j’étais content. Seulement, lorsque la décision de reporter la fin du projet a été prise, je n’avais pas une idée très claire de ce que je pourrais implémenter et du temps qu’il me faudrait pour le faire.

Iwata :

Sur un projet d'une telle ampleur, il est difficile de trouver le bon rythme de travail, n'est-ce pas ? De plus vous ne pouviez pas évaluer au départ quelle quantité de travail serait nécessaire. Qu'en a-t-il été pour vous, Kitagawa-san ?

Kitagawa :

Honnêtement, j'étais moi aussi content de ce report. Au commencement, Aonuma-san m'avait dit combien de donjons il faudrait créer, et il aurait été impossible d'y parvenir dans le temps imparti à l'origine. Mais avec du temps en plus, il devenait possible de mettre sur pied un planning qui permettrait de tous les faire, en terme de quantité, mais aussi de qualité. Les donjons sont la partie jouable la plus importante dans Zelda, ne terminer que les parties extérieures n'avait donc aucun sens. Nous ne cessions de recevoir des suggestions sur la façon d'amener le joueur à utiliser un objet, ou les angles de caméra, et nous les avons utilisées pour améliorer les donjons. Avec cette année supplémentaire, nous avons pu pousser la finition des donjons jusqu'à un niveau qui personnellement me satisfait.

Iwata Asks
Iwata :

Et vous, Miyagi-san ?

Miyagi :

J'avais la sensation que nous ne pourrions tout finir dans les temps, alors ce délai d'une année m'a semblé naturel. Nous étions loin du compte, dans l'avancement du jeu comme dans la finition, et nous n'avions même pas de schéma clair du déroulement des opérations à venir. Quand le report a été décidé, j'ai senti qu'il fallait que je me recentre. Auparavant, à l'époque où je me disais qu'à ce train, il serait impossible de terminer, j'étais épuisé. Je me suis débattu pour rester concentré et en pleine possession de mes moyens, physiquement et mentalement. Avant la décision, j'accomplissais mon travail avec la date limite à quelques pas devant moi. La date de sortie repoussée offrait la chance d'un nouveau début, et cette possibilité de repenser notre approche sur une quantité de problèmes a été véritablement significative.

Iwata Asks
Iwata :

Quand vous êtes à court de temps, toute votre énergie est consacrée à terminer votre travail dans la journée. C'est pourquoi il est impossible d'avoir une vue d'ensemble et de prendre les décisions qui en fin de compte seront les meilleures.

Miyagi :

Tout à fait. C'est pourquoi, pour parler franchement, j'ai pensé : "Si nous pouvions avoir une année de plus, pourquoi ne pas l'avoir dit depuis le début ?" (rires)

Iwata :

Je comprends ! (rires) Tominaga-san, qu'avez-vous pensé ?

Tominaga :

Personnellement, j'ai rejoint l'équipe juste avant que le report ne soit décidé, c'est pourquoi il ne m'a pas autant affecté. Je me suis dit que c'était ennuyeux, rien de plus. En fait, ce qui m'inquiétait surtout, c'était le développement d'une version Wii, et la sortie quasiment simultanée du jeu partout dans le monde. Mais d'avoir vu de mes yeux la capacité de Nintendo à se regrouper et à coopérer pour tenir les délais m'a fait apprécier, avec un regard pour ainsi dire extérieur, la valeur de cette entreprise.

Iwata :

Et vous, Kyogoku-san ?

Kyogoku :

Il est évident que l'allongement des délais m'a rassurée, puisqu'il me laissait davantage de possibilités pour travailler sur le jeu. Mais pour moi, qui étais responsable du texte à l'écran, la localisation dans toutes les langues nécessaire à la sortie simultanée du jeu partout dans le monde n'a pas été facile, même avec une année supplémentaire. Le travail du texte entraîne toujours des changements de toute dernière minute. Franchement, même aujourd'hui, j'aimerais disposer d'encore un mois de plus...

Iwata Asks
Iwata :

Cela pourrait poser un problème ! (rires) Mais il y a toujours des points que l'on peut améliorer à l'infini.

Kyogoku :

C'est vrai ! (rires)

Iwata :

Comment avez-vous réagi devant la décision de faire d'un jeu développé pour la GameCube un jeu pour la Wii ? Je suis sûr que cela a dû présenter des difficultés, mais j'aimerais que vous nous parliez des aspects positifs du développement de la version Wii.

Oyama :

A dire vrai, je me suis d'abord demandé si on pourrait vraiment y arriver. Après tout, c'est une tout autre console. Au début, des membres de l'équipe étaient contre, parce qu'ils pensaient que la manette de la GameCube, qui leur était familière, fonctionnerait mieux sur ce jeu. C'est une réaction normale : vous montrez quelque chose de nouveau à quelqu'un, mais quelles que soient les qualités de cette nouveauté, il préférera ce dont il a l'habitude. Dans les phases de finition surtout, on aurait dit qu'ils reportaient chaque semaine de nouvelles occurrences de commandes qui les gênaient. Je dois dire que j'étais un peu inquiet. C'est Aonuma-san qui, après avoir procédé à des essais, a décidé des paramètres actuels afin que l'adaptation soit aisée. Après l'E3 de cette année, alors que tout était fixé, j'ai réalisé à quel point cette version allait être agréable, et nous avons alors véritablement commencé à progresser à grands pas.

Iwata :

A votre tour, Nishimori-san.

Nishimori :

La grande cohérence du jeu me donne un sentiment d'accomplissement. Il n'est pas rare que des gens qui jouent à la version Wii pour la première fois s'étonnent que ce soit un jeu développé à l'origine pour la GameCube. Je suis très fier que l'adaptation ait été si bien faite que l'on pense qu'il s'agissait dès le départ d'un jeu Wii. Quand la décision de faire une version Wii a été prise, je doutais vraiment que l'on puisse jouer à Zelda avec si peu de boutons. Mais finalement, grâce aux possibilités de la télécommande Wii, le plaisir du jeu est encore accru, ce qui est fantastique.

Iwata Asks
Kitagawa :

Absolument. Utiliser la télécommande Wii pour viser avec l'arc et les flèches, ou une autre arme de jet, donne vraiment l'impression d'être Link. Si aujourd'hui on me donnait à choisir entre une manette classique et la télécommande Wii, je prendrais sans hésiter la télécommande Wii. Frapper avec l'épée, tirer à l'arc, faire l'attaque tournoyante de Link deviennent des actions bien différenciées. Cela peut sembler déroutant au premier abord, mais je pense sincèrement qu'on ne peut comprendre à quel point c'est une bonne manette qu'après l'avoir utilisée.

Iwata :

Vous voulez dire qu'il ne faut pas dire que l'on n'aime pas un plat sans y avoir goûté, c'est cela ?

Kitagawa :

Exactement ! (rires)

Iwata :

Qu'en dites-vous, Miyagi-san ?

Miyagi :

Pour ma part, je suis un joueur médiocre, et je pensais que jouer avec la manette GameCube serait un peu difficile. J'ai trouvé que la diminution du nombre de boutons sur la télécommande Wii était un progrès. Au commencement, lorsqu'il a été décidé de faire un Zelda pour la Wii, la crainte de chacun était qu'il faille revoir le gameplay depuis le début alors que nous étions déjà très avancés dans le projet. Mais j'ai pensé qu'il fallait nous atteler à la version Wii sur-le-champ.

Nishimori :

Bien sûr, c'est évident. Mais ce qui posait problème, c'était de faire les ajustements essentiels, de sorte que les deux versions soient d'égale qualité. Nous devions nous montrer d'une rigueur parfaite dans la mise au point des commandes pour les deux versions, ce qui signifiait, en gros, faire tout le travail en double. Même avec une année supplémentaire, nous savions que nous ne pouvions pas prendre notre temps. Au contraire, nous avons travaillé sans relâche jusqu'au dernier moment.

Iwata :

Je vois. Il y avait donc des aspects positifs comme négatifs. Passons maintenant à Miyamoto-san et sa façon de "retourner la table de thé"1 (rires). L'avez-vous vu le faire ? Si vous en avez été témoin, ne nous cachez rien ! 1Le style de travail de Shigeru Miyamoto est souvent appelé "Chabudaigaeshi" (littéralement "retourner la table de thé") en référence à une scène de la série classique L'étoile des géants, dans laquelle le père de famille renverse la table de thé alors que toute la famille est en train d'y prendre un repas, et demande à manger autre chose. Ainsi, Shigeru Miyamoto a tendance à faire des suggestions de dernière minute qui obligent tout le monde à tout réviser alors que la fin du projet approche.

Oyama :

Là où je travaillais, il n'y a pas eu d'incident majeur ! (rires) C'est pourquoi je me demandais : "Est-ce vraiment ce dont les gens parlent ? C'est tout ?..."

Iwata :

Vous vous attendiez à plus ? (rires)

Oyama :

Eh bien, oui ! Pour vous donner un exemple, à propos de la force des ennemis, il disait "rendez-les un peu plus faciles" ou bien "celui-là est trop faible !". Mais plus encore que ces petites indications, j'ai trouvé vraiment utile qu'il nous rappelle ce que pensent les gens. Quand vous ne faites que vous occuper des ennemis toute la journée, vous avez tendance à perdre la perspective et à programmer pour des experts. Mais vous pouvez toujours compter sur Miyamoto-san pour adopter le point de vue du joueur moyen.

Iwata Asks
Iwata :

Je vois. Et vous, Nishimori-san ?

Nishimori :

Moi aussi j'avais entendu beaucoup d'histoires légendaires sur Miyamoto-san, et pendant les dernières mises au point, j'ai vécu dans la peur qu'il ne vienne "retourner la table de thé".

Iwata :

Vous avez "vécu dans la peur" ?! (rires)

Nishimori :

J'étais assis non loin d'Aonuma-san, et Miyamoto-san venait parfois discuter d'un point ou d'un autre. J'étais toujours curieux de savoir ce qu'il disait, alors j'écoutais toutes leurs conversations. Mais comme chez Oyama-san, il n'y a pas eu de "retournement de table" à propos du design de Link ou de son animation. En fait, je dirais qu'il nous a très efficacement aidés tout au long de notre travail. Il formulait ses conseils en nous disant que cela fonctionnerait peut-être mieux de telle ou telle manière. Je me souviens de ce qu'il nous a dit sur le design du loup. A un moment dans le jeu, Link se transforme en une espèce de loup. En d'autres termes, le joueur doit diriger une créature à quatre pattes. Alors que nous discutions de l'apparence du loup, Miyamoto-san nous a fait remarquer qu'il n'était pas très intéressant de voir sans arrêt de derrière un animal à quatre pattes. Il est vrai que si vous regardez un animal à quatre pattes de profil ou de trois-quarts, vous pouvez voir le mouvement des pattes et celui du reste du corps. Mais vu de derrière, c'est bien plus ennuyeux qu'un humain. Miyamoto-san nous a donc suggéré de jucher quelqu'un sur le dos du loup. Au début, nous y avons mis un personnage assez neutre, mais au final, ce personnage occupe une place centrale dans l'histoire.

Iwata :

D'accord, d'accord ! Ce que je trouve passionnant dans ce que vous venez de dire, c'est que Miyamoto-san parlait d'un point de vue purement fonctionnel. Ce n'est pas pour des raisons narratives qu'il souhaitait que le loup soit monté par un personnage. Il s'agissait de lui faire remplir une fonction dans le jeu, en réponse à l'observation qu'il est ennuyeux de regarder un animal à quatre pattes vu de derrière. Il est vraiment intéressant que l'idée de ce personnage soit née de cette façon. Je pense que c'est typique de quelqu'un qui a travaillé dans le design industriel. Je m'éloigne un peu du sujet : quand Miyamoto-san a mis Mario sur le dos de Yoshi dans Super Mario World, l'idée était également fonctionnelle. En effet, la Super Nintendo n'autorisait que peu de sprites (le dispositif qui permet l'affichage des graphismes à l'écran) en même temps. Si Yoshi a l'allure qu'il a, c'est à l'origine pour limiter le nombre de sprites nécessaires lorsque Mario et Yoshi se superposent. Vous comprendrez en regardant les premiers dessins de Yoshi qu'il a été créé pour répondre à des critères purement fonctionnels. S'il a fini par être un dinosaure, ce n'est pas parce que nous voulions voir Mario sur un dinosaure. C'est parce que les limitations techniques nous autorisaient à dessiner un personnage dont la forme était proche de celle d'un dinosaure. Mais pardonnez-moi, je digresse ! (rires) Kitagawa, vos tables ont-elles été retournées ?

Kitagawa :

Je crains de n'en avoir pas non plus fait l'expérience. Il n'y a rien eu dont j'ai pu dire : "Nous y voilà ! Il met tout sens dessus dessous !" En y repensant, je me dis que si cela ne s'est pas produit, c'est parce qu'avec cette année supplémentaire, les designers du jeu ont eu tellement d'idées qu'il n'y avait plus grand chose à retourner. Ce que je veux dire, c'est que dès que nous avions fait quelque chose, nous le mettions à l'essai dans le jeu, encore et encore, puis nous décidions de ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas, et enfin nous le modifiions. Pour cette raison, Miyamoto-san, lorsqu'il a parcouru les donjons un peu plus tard, ne nous a pas dit "faites ceci" ou "faites cela", mais "ce serait plus beau ainsi" ou "si vous faites cela, le chemin à suivre dans le donjon sera plus explicite". Il n'a pas tout mélangé dans nos têtes, mais nous a donné des conseils très constructifs.

Iwata :

Je comprends. Je suis curieux de voir si après plusieurs jeux vous penserez toujours la même chose. (rires) Passons à vous, Miyagi-san.

Miyagi :

Pour la conception du monde extérieur, dont j'étais responsable, nous n'avons pas eu à faire beaucoup de changements. Mais mon opinion est légèrement différente de celle de mes collègues, car je pense que si Miyamoto-san a modéré ses interventions, c'est pour que l'ensemble du projet garde l'essence d'un Zelda. Pour vous donner un exemple, quand nous avons montré le jeu à l'E3, les flèches enflammées avaient été implémentées, mais j'avais de sérieux doutes quant aux commandes. Pour vous le dire plus directement, je pensais qu'il valait mieux utiliser la manette GameCube. C'est alors que Miyamoto-san a introduit la fronde, qui n'existait pas jusqu'alors, dans les premières phases du jeu, qui servent de didacticiel. En même temps, il a ajouté une petite pause dans l'action après que la cible ait été atteinte, afin qu'il soit possible de repositionner le viseur. Cette pause est une grande idée, car elle ajoute à l'excitation et à l'impression d'urgence que ressent le joueur. A la seconde où j'en ai fait l'expérience, j'ai immédiatement changé d'opinion sur le jeu. A mesure que Miyamoto-san ajoutait ces merveilleux détails au jeu, mes sources d'inquiétude disparaissaient les unes après les autres. Grâce à Miyamoto-san, les débuts du jeu, qui servent à faire entrer les joueurs dans cet univers, étaient particulièrement typiques de Zelda. Donc, bien qu'il n'y ait pas eu de changement théâtral, il me semble que Miyamoto-san a énormément fait pour que le produit fini soit un véritable Zelda, par petites touches. Mais plutôt que de me sentir paralysé, j'ai eu envie de travailler dur pour devenir un meilleur développeur ! (rires)

Iwata Asks
Iwata :

Peut-être avez-vous ressenti le désir d'améliorer votre travail avant que Miyamoto-san ne le voie.

Miyagi :

Exactement. Mon impression globale est que Miyamoto-san était parfaitement conscient de la pression à laquelle nous étions soumis, et du niveau de stress qui accompagne toujours les développements longs comme celui-là. Mais bien qu'en surface il semble qu'il nous ait ménagés, je pense qu'il a en fait beaucoup agi.

Iwata :

Voilà une analyse extrêmement intéressante !

Miyagi :

C’est pour cela que je pense que si le projet avait été rallongé d’encore six mois, son influence se serait fait encore plus sentir.

Iwata :

Il vous aurait fait travailler comme des forcenés, comme Ittetsu Hoshi2 ! (rires) 2Ittetsu Hoshi est le nom du père dans L’étoile des géants.

Miyagi :

C’est sûr ! (rires) A vrai dire, il y avait déjà beaucoup de choses à changer avant même que Miyamoto-san ne touche au projet. Mais peut-être que Miyamoto-san a compris que s’il apportait des changements trop radicaux à ce stade, la charge de travail nous aurait complètement submergés. C’est pourquoi il a commencé par des changements qu’il savait que nous pouvions implémenter, pour rendre le jeu petit à petit plus proche de l’esprit Zelda. Ensuite, une fois que le jeu est devenu un vrai Zelda, il nous a dit "Je suis désolé de vous faire ça aussi tard dans le projet, mais..." Et là, il changeait tout ce qui le turlupinait. Je pense qu’il a délibérément choisi de procéder de cette manière.

Iwata :

Je vois. Et pour vous, Tominaga-san ?

Tominaga :

Tout comme Miyagi-san, j’ai eu l’impression qu’il nous demandait de faire des changements progressifs, en commençant par ceux que nous pouvions facilement gérer. Une autre manière de voir les choses, c’est que Miyamoto-san reprenait à zéro et réglait méthodiquement les problèmes auxquels nous étions confrontés, mais que nous ne pouvions pas tous traiter en même temps. Par exemple, dans la version que nous avons montrée à l’E3, il était possible de jouer dans le premier village du jeu. Mais comme ce niveau avait été spécialement créé pour l’E3, il nécessitait d’énormes changements pour l’intégrer dans le reste du jeu de manière satisfaisante et nous ne savions pas comment procéder. Miyamoto-san l’a fait pour nous, ce qui nous a vraiment aidé. Alors plutôt que de retourner la table à thé, je pense qu’il a créé des choses que nous n’avions pas dans le jeu. Un des changements les plus marquants concerne une histoire secondaire, qui n’a aucun lien avec l’histoire principale. Nous avions créé cet événement afin qu’il soit purement optionnel, mais alors que nous étions très avancé dans le projet, Miyamoto-san a proposé de l’intégrer dans la trame principale de l’histoire. Vu l’avancement du projet, cela a provoqué un énorme choc dans l’équipe ! (rires) Mais après l'implémentation de ce changement, l’objet obtenu grâce à cette quête secondaire s’intégrait parfaitement dans le déroulement de l’histoire, alors l’impression finale était que nous avions fait quelque chose de très positif. Bien que tout n’ait pas été complètement chamboulé, je me rappelle avoir pensé que c’était un exemple de Miyamoto-san retournant la table de thé.

Iwata Asks
Iwata :

Et pour vous, Kyogoku-san ?

Kyogoku :

Personnellement, j’ai vraiment ressenti un retournement de table de thé ! (rires)

Tous :

(rires)

Kyogoku :

Nous avons dû faire des changements pour la bonne et simple raison que dans le premier village, il y avait tout un tas de choses spécifiques à la version GameCube. Ce qui veut dire que de nombreux aspects de la version Wii ne tenaient pas compte du fait que les joueurs n’étaient pas encore habitué au jeu ou à la télécommande Wii. Pour cette raison, et cela nous renvoie à ce que disait Iwata-san sur "les fonctions sources d’idées", il y avait encore une grande quantité d’informations qui devaient être communiquées aux joueurs au début du jeu, afin qu’ils puissent prendre plaisir à y jouer sur Wii. L’idée de départ était que les joueurs devraient passer une journée dans le village, mais tout à coup, il a été décidé que ce serait trois. Nous avons reçu un document avec un cahier des charges, un genre de "Cahier des charges pour trois jours, par Miyamoto-san"…

Iwata :

Ah, un "cahier des charges" ? Venant de lui, c’est toujours synonyme de gros changements en perspective !

Tous :

(rires)

Kyogoku :

C’était vraiment en pleine phase finale du développement… Pour être exact, c’était juste après l’E3…

Iwata :

(rires)

Kyogoku :

La traduction avait déjà commencé. La décision de faire un tel changement m’a laissée sans voix… Il fallait refaire la programmation, augmenter le nombre d’objets, et bien sûr changer le positionnement des personnages. Cela nécessitait également quelques retouches au niveau du design. Evidemment, tous les dialogues des personnages étaient affectés, alors j’ai dû appeler en urgence en Europe et aux Etats-Unis pour leur dire "Ce village-là va être complètement changé, merci de patienter une semaine ou deux ! Veuillez ne rien traduire pour l’instant !"

Tous :

(rires)

Kyogoku :

Nous avons donc fait ces changements, et alors que je pensais que nous allions finir dans les temps, la table a une nouvelle fois été retournée puisqu’il a fallu intégrer une quête annexe au scénario principal, comme l’a dit Tominaga-san. Alors j’ai à nouveau pris contact avec tout le monde pour leur dire "Ça va encore changer !". Personnellement, j’avais l’impression que la table était sans cesse retournée. Lorsque j’ai réalisé que malgré tout ça, nous avions fini à temps pour la sortie, j’ai pensé : ça doit être ça la « légende » de Zelda…

Tous :

(éclat de rire général)

Kitagawa :

Vous mouriez d’envie de dire ça, n’est-ce pas ?

Iwata :

C’est toujours le scénariste qui a les meilleures répliques ! (rires) Plus sérieusement, je pense que, comme vous l’avez dit, Miyamoto-san considère probablement la première partie d'un jeu comme absolument cruciale. C’est pourquoi il avait une idée bien précise de ce qui devait être communiqué aux joueurs à ce moment-là. C’est la raison pour laquelle il a clairement fait comprendre qu’il manquait quelque chose, ou que les choses devaient être présentées au joueur dans un certain ordre. Lorsqu’un projet arrive à terme, et que les développeurs travaillent d’arrache-pied, ils deviennent naturellement moins conscients de ce qui peut troubler quelqu’un qui joue pour la première fois. Voilà pourquoi je pense qu’il est inévitable que Miyamoto-san débarque au dernier moment pour retourner la table. Maintenant que les choses se sont calmées, et que vous regardez les changements effectués sur le premier village, pensez-vous que ces changement étaient une bonne chose ?

Kyogoku :

Oui. C’est non seulement plus facile pour le joueur de se familiariser avec la télécommande Wii, mais il se sent également tout se suite impliqué dans l’histoire et dans le monde de Zelda. Au final, je suis vraiment content que nous ayons fait ces changements.

Iwata :

D’ailleurs, ça me rappelle qu’il y a longtemps, on m’avait dit que pour Miyamoto-san, une idée c’est "quelque chose qui résout plusieurs problème avec juste un petit réglage". Ce que vous venez de nous dire correspond tout à fait à cette définition. A présent, j’ai une dernière faveur à vous demander. J’aimerais que chacun d’entre vous me parle d’un aspect de Twilight Princess dont il est particulièrement fier et qu’il voudrait partager avec tout le monde. Commençons par vous, Oyama-san.

Oyama :

Il y en a tellement ! (rires) Comme j’étais responsable des ennemis, je dirais tout naturellement les combats. Les coups d'estoc et de taille, les petits effets lorsqu’un ennemi est touché, qu’il s’écroule au sol puis disparaît, et également tout ce que fait Link dans ces moments-là. J’espère que les joueurs apprécieront ces détails. Autre chose, plusieurs ennemis tirés des précédents Zelda font une apparition, et nous ne nous sommes pas contentés d’une simple retouche graphique. Nous leur avons également apporté de nouvelles techniques d’attaque, afin que ceux qui découvrent le jeu comme les fans de la première heure y trouvent un challenge intéressant.

Iwata :

Nishimori-san?

Nishimori :

Tout d’abord, puisqu’on parle presque toujours de la version Wii, j’aimerais préciser à tout le monde que la version GameCube propose un contenu tout aussi intéressant que la version Wii, avec un feeling totalement différent. En ce qui me concerne, j’ai accordé beaucoup d’attention à ce qui constitue pour moi un des moments forts du jeu, les séquences à cheval. Plus particulièrement lorsque vous affrontez des ennemis monté sur le cheval. C’est quelque chose que je rêvais de faire depuis Ocarina of Time. Les réactions des gens qui avaient pu essayer les combats à cheval à l’E3 avaient été extrêmement positives, mais au sein de l’équipe, certains trouvaient que cette partie du jeu pouvait encore être améliorée. Après en avoir discuté avec Miyamoto-san, j’ai fini par monter à cheval moi-même !

Iwata Asks
Iwata :

Vous êtes vraiment monté à cheval ?

Nishimori :

Mais oui ! Miyamoto-san m’a simplement dit "Va faire du cheval !" (rires) J’ai emmené le designer responsable du cheval et la personne responsable des animations de Link et du cheval, et nous sommes partis tous les trois travailler sur le terrain. Comme nous sommes débutants, notre maîtrise laissait un peu à désirer, mais cela nous a permis d’apprécier la taille des chevaux en étant à leurs côtés, ainsi que la sensation de chevaucher un animal imposant, avec cette impression agréable de ne pas tout contrôler. Nous avons expérimenté tout un tas de choses, y compris la façon dont monter à cheval affecte votre champ de vision, et je crois que certains éléments du jeu n’auraient pas pu être intégrés si nous n’avions pas tenté l'expérience. C’est vraiment ça que je voudrais que les joueurs ressentent.

Iwata :

Et pour vous, Kitagawa-san ?

Kitagawa :

Eh bien, en tant que personne en charge des donjons, j’aimerais que les joueurs prêtent attention à la variété et au détail qui ont été apportés à chaque donjon. Pour être un peu plus précis, il y a des éléments traditionnels plutôt inattendus qui font leur retour en 3D, et je suis sûr que les fans de longue date esquisseront un petit sourire en les voyant. J’espère que les joueurs sauront apprécier tout le soin qui leur a été apporté.

Iwata Asks
Iwata :

Et vous, Miyagi-san ?

Miyagi :

Si on me demande de citer un aspect dont je suis particulièrement fier, je pense devoir parler au nom de toute l’équipe qui a travaillé sur le design des niveaux, donc c’est difficile de choisir. En premier lieu, je dirais le plaisir que procurent les chevauchées à travers les immenses plaines d’Hyrule. Je pense que les joueurs vont vraiment apprécier cette grisante sensation de vitesse. Il y a également autre chose que j’aime beaucoup. Lorsque vous avez suffisamment avancé dans le jeu, vous avez accès à un endroit qui a été pensé de sorte que vous puissiez dominer les plaines d’Hyrule et voir l’emplacement exact des montagnes, des lacs, des déserts et des rivières que vous avez traversés. Ce n’est pas parfait, mais de grands efforts ont été faits pour que tout soit cohérent. Vous pouvez profiter de cette vue magnifique au cours de vos aventures !

Iwata :

Tominaga-san, s’il vous plaît.

Tominaga :

J’aurais envie de tout recommander, mais je conseille vivement aux joueurs de sortir des sentiers battus et d’explorer chaque recoin de cet univers. En ce qui concerne l’aspect auquel j’ai accordé un soin tout particulier, je vais faire dans l’originalité. J’ai concentré mes efforts pour que le joueur soit naturellement guidé dans une direction donnée lorsqu’il ne doit pas trop s’éloigner de la quête principale. La liberté de mouvement est un des atouts de Zelda, mais parfois vous ne voulez pas que le joueur s’aventure dans tel ou tel endroit. Vous devez donc vous assurer qu’il suive le fil directeur du jeu sans qu’il s’en rende compte. C’est un exercice difficile, et comme j’y ai travaillé dur, j’aimerais dire qu’il faut que tout le monde y prête attention… Mais les joueurs ne doivent pas en être conscients, je ne voudrais pas qu’ils se disent "Eh bien, il y en a un qui a dû se donner du mal pour que tout ça semble naturel !" Donc, finalement, je ne peux pas vraiment conseiller aux joueurs de faire attention à ça ! (rires)

Iwata :

Et enfin, Kyogoku-san.

Kyogoku :

Le monde de la version Wii est une image miroir de la version GameCube et vice-versa, tout ce qui est à droite dans l’un est à gauche dans l’autre. En jouant avec une manette différente et dans un monde entièrement inversé, l’expérience est totalement différente. Nous sommes tous devenus très familiers avec cet univers à force de le voir tous les jours, mais je continue encore à me perdre quand je passe d’une version à une autre. J’aimerais vraiment que les gens essaient les deux. Et pour ma part, c’est dans les détails les plus amusants que j’ai mis tous mes efforts ! (rires) Si au cours du jeu, vous tombez sur quelque chose qui vous fait rire et que vous vous dites "Mais c’est ridicule !", vous pouvez être sûr que j’y ai accordé toute mon attention, et que je veux que les gens le remarquent !

Iwata Asks
Tous :

(rires)

Iwata :

Merci à vous d’avoir participé à cette longue discussion ! J’espère que tout le monde considérera ce Zelda comme le meilleur jeu de la série. Merci à tous.

Tous :

Merci beaucoup !