4. Et les zombis ?

Iwata :

Ce dont Guillaume parlait à l’instant est l’exemple classique de l’idée qui permet de résoudre plusieurs problèmes à la fois 27. C’est une chose dont Shigeru Miyamoto parle toujours. J’ai l’impression que vous avez eu plusieurs problèmes au départ, mais avez finalement, avec une seule idée, réussi à les résoudre et à faire avancer le projet dans la bonne direction.27 Ces mots ont été prononcés lors d’une entrevue intitulée : « La définition d’une idée » entre Shigesato Itoi de Hobo Nikkan Itoi Shinbun et Satoru Iwata.

Guillaume :

C’est tout à fait vrai.

Iwata :

Gabrielle, vous travailliez en étroite collaboration avec Guillaume à cette époque. Comment avez-vous vécu cela ?

Gabrielle :

Ce qui m’a sidérée, c’est qu’à mesure que nous optimisions le Wii U GamePad pour le jeu d’horreur et de survie, de nouvelles caractéristiques semblaient surgir spontanément. Par exemple, même si l’on est en général très seul lorsqu’on joue à un jeu d’horreur et de survie, nous avons décidé d’inclure le « survivaliste28 », qui vous parle à travers un talkie-walkie, en utilisant directement le Wii U GamePad. 28 Le survivaliste : personnage invisible de ZombiU qui guide les joueurs en leur donnant les conseils de survie et des techniques d’auto-suffisance. C’est ainsi que l’on nomme ceux qui adhèrent au concept de survivalisme et se préparent activement aux situations d’urgence dans le monde réel, comme les catastrophes naturelles ou l’effondrement généralisé de la société.

Iwata :

On ne le voit jamais, mais il vous apporte son soutien pour beaucoup de choses, c’est cela ?

Gabrielle :

C’est exact.

Guillaume :

Le survivaliste s’adresse à vous par l’intermédiaire d’une mystérieuse voix directement depuis le Wii U GamePad. Le fait que la Wii U offre deux écrans est très intéressant, mais les joueurs ne réalisent peut-être pas que le Wii U GamePad dispose aussi de deux haut-parleurs. La présence de ces derniers est tout aussi révolutionnaire que les deux écrans, et ils permettent un degré d’immersion qui n’existait pas auparavant.

Iwata :

Avoir une voix qui vous guide signifie que vous n’avez pas à lire du texte à chaque fois, il y a donc du mérite à l’utiliser dans l’histoire.

Gabrielle :

Je crois que devoir lire du texte sur le téléviseur est un aspect des jeux que beaucoup détestent, qu’ils soient joueurs ou développeurs. Le fait qu’il n’y ait pas que du son sur le Wii U GamePad mais que l’on puisse aussi y lire du texte est étonnamment important, en réalité. L’IU29 propose une animation très raffinée pour tourner les pages, c’est comme lire un e-book. 29 IU : sigle pour « interface utilisateur » ». Correspond à l’affichage, aux fenêtres et aux menus avec lesquels un utilisateur interagit lors de l’utilisation d’un ordinateur.

Iwata Asks
Iwata :

Le Wii U GamePad peut faire beaucoup de choses. Jouer avec pour découvrir précisément comment en tirer parti dans le contexte d’un jeu d’horreur et de survie vous a aidé à prouver clairement son intérêt, en en faisant quelque chose que l’on ressent comme immédiat et dynamique.

Guillaume :

Pouvoir profiter d’une partie du jeu en l’ayant sur les genoux rend effectivement un certain nombre de choses plus immédiates. C’est un vrai plaisir de le constater et cela permet aussi à nos artistes d’exprimer leur talent de manière totalement inédite.

Iwata :

De quelle manière peuvent-ils s’exprimer ?

Guillaume :

Les artistes veulent toujours avoir un écran dépourvu de toute interface, mais jusqu’à présent, une telle option était irréaliste. Avec ZombiU, hormis quelques moments très précis, aucune indication liée au jeu n’apparaît sur l’écran du téléviseur, on n’y voit que le monde du jeu. C’est parce que toute l’information dont on a besoin se trouve sur le Wii U GamePad.

Iwata :

Ah, je comprends. Les avantages créés sont nombreux.

Guillaume :

Exact. C’est une chose dont les artistes sont très reconnaissants.

Iwata :

Yves, quand vous avez annoncé Killer Freaks à l’E3 2011, j’ai participé à une table ronde des développeurs avec vous et l’équipe d’Ubisoft et nous nous sommes mis d’accord dessus. Qu’avez-vous pensé quand votre équipe vous a dit qu’ils voulaient le transformer en un jeu de zombis après avoir fait une telle annonce ?

Yves :

(rire) En réalité, j’aimais vraiment l’idée de changer l’intégralité du concept. Nous venons de parler de la lenteur avec laquelle les zombis s’approchent de vous. Au final, l’utilisation de ce concept nous permettait de répondre à toutes sortes d’interrogations et de problèmes dans le développement et s’avérait vraiment la meilleure solution pour exploiter au mieux le matériel Wii U.

Xavier :

Je me souviens qu’Yves est arrivé un jour à une réunion en disant : « Et des zombis, qu’en pensez-vous ? »

Iwata :

Comment ? Vous voulez dire que ce retournement complet de situation était votre idée, Yves ? (rire)

Yves :

C’est exact !

Gabrielle :

C’est lui qui a jeté les ténèbres. (rire)

Iwata :

Ce n’est donc pas l’équipe qui a modifié le concept qu’Yves avait annoncé, mais Yves lui-même ?

Yves :

Eh bien, comme aucun d’eux n’y voyait d’objection, on pourrait appeler ça une décision collective. Ils ne pouvaient pas dire non !

Iwata Asks
Tous :

(rire)

Xavier :

Au final, tous les éléments ont trouvé leur place, mais en réalité, nous avions déjà commencé à envisager le développement d’un nouveau game design et de nouveaux personnages pour le concept d’origine de Killer Freaks. Cela aurait pu être un nouveau genre d’ennemis, ou alors ça ne ce serait pas passé à Londres...

Iwata :

C’est une autre question que je voulais vous poser. Pourquoi un jeu créé par des Français a-t-il pour cadre Londres, et pas Paris ?

Guillaume :

Avec la tenue des Jeux olympiques à Londres et les célébrations du jubilé de diamant de la Reine cette année, Londres était le centre de l’attention du monde entier et une ville à laquelle tout le monde se sentait lié. C’est l’une des raisons pour lesquelles le jeu se passe à Londres. Une autre raison, beaucoup plus importante, est que Londres est une ville dont l’histoire est attachée à des choses horribles, comme Jack l’Éventreur30. Nous nous sommes dit que c’était un cadre adapté pour l’univers sombre de ce jeu. 30 Jack l’Éventreur : nom donné au criminel responsable d’une série de meurtres jamais résolus à Londres en 1888.

Iwata :

Quand on y pense, Londres possède effectivement ce genre d’atmosphère...

Guillaume :

Londres offre des paysages aussi bien modernes que médiévaux et c’est une ville que de nombreuses personnes ont envie de visiter. C’est aussi tout près de la France, nous pouvions donc nous y rendre !

Gabrielle :

Exact. Ce n’est pas loin de chez nous. Certains journalistes diront peut-être que le jeu nous permet de taper sur les Anglais ! (rire) Mais plus sérieusement, le genre « zombis » est apparemment né dans la culture américaine et a ensuite contaminé le monde entier, en quelque sorte.

Iwata :

C’est absolument vrai lorsque l’on sait que c’est aux États-Unis que sont nés les films préférés des amateurs du genre.

Gabrielle :

Ceci étant, comme il n’existe pas aux États-Unis de lieux où cohabitent des décors à la fois modernes et médiévaux, Londres semblait pour cela un cadre beaucoup plus original. Au lieu de voir la batte de baseball caractéristique, nous pouvions la remplacer par la célèbre batte de cricket et aussi modifier les personnages afin que le joueur puisse croiser les « Beefeaters » (gardiens de la Tour de Londres) dans leur costume traditionnel et les gardes royaux. Le pays lui-même est aussi célèbre pour ses grands conflits sociaux, tous ces contrastes faisaient donc de Londres un cadre intéressant à explorer.