1. De la pomme verte au feu vert

Iwata :

L'entretien d'aujourd'hui portera sur le nouveau titre Nintendo 3DS New Art Academy. Nous tenterons d'en savoir plus sur sa genèse. J'ai été rejoint ici, au Japon, par des membres de l'équipe de développement Nintendo ainsi que par deux représentants de Kuju Entertainment1, du Royaume-Uni. J'aimerais commencer par demander à chacun d'entre vous de se présenter brièvement. Pourrions-nous commencer par mes deux invités de chez Kuju Entertainment ?

Tancred :

Bien sûr. Je m'appelle Tancred Dyke-Wells et je travaille depuis onze ans chez Headstrong Games, l'un des studios de développement qui constituent Kuju Entertainment. J'ai travaillé sur le précédent Art Academy2. Pour ce nouveau titre, j'ai été superviseur, responsable de la planification globale du projet en termes de contenu artistique et de conception logicielle. 1 Kuju Entertainment : développeur de jeux vidéo britannique rassemblant plusieurs studios de développement et créé en 1998. 2 Art Academy : logiciel initialement commercialisé sous la forme de deux titres Nintendo DSiWare distincts, Nintendo DSiWare Art Academy Premier et Second semestre, dont la sortie européenne a eu lieu respectivement fin 2009 et début 2010. Ces deux titres ont ensuite été rassemblés en un seul et commercialisés pour Nintendo DS en Europe en août 2010, sous le titre Art Academy.

Iwata Asks
Jason :

Je m'appelle Jason Howard et je participe à ce projet depuis le tout premier Art Academy. En tant qu'infographiste principal, j'ai supervisé la création et la mise au point des leçons personnelles.

Iwata Asks
Terasaki :

Je m'appelle Keisuke Terasaki et je travaille au Département planification et développement de chez Nintendo. Mon rôle officiel dans ce projet était celui de producteur, mais je jouais en réalité le rôle « d'élève A » ! (rire)

Iwata Asks
Iwata :

Ainsi vous, les deux membres de Headstrong Games, étiez les enseignants, les maîtres, et Terasaki-san incarnait « l'élève A ». (rire)

Terasaki :

Exactement. Je joue « l'élève A » depuis le premier titre Art Academy.

Iwata :

Depuis le titre Art Academy d'origine, Terasaki-san vient me voir en me disant : « Regardez ce que j'ai fait ! » et me montre fièrement les dessins qu'il a réalisés.

Terasaki :

C'est vrai.

Iwata :

Je parie que les deux personnes assises à côté de Terasaki-san aujourd'hui ont encore plus l'habitude que moi qu'il vienne leur montrer ses travaux manuels.

Miyachi :

Tout à fait ! (rire) Je m'appelle Kaori Miyachi et Terasaki-san m'a montré une énorme quantité de dessins.

Iwata Asks
Iwata :

(rire)

Miyachi :

Concernant le développement de ce titre, j'ai pris part à beaucoup de tâches différentes, de la supervision du contenu au soutien au reste de l'équipe. Mais je dirais que mon véritable rôle pour ce logiciel a été celui « d'élève B ».

Iwata :

Je vois ! (rire) Cela fait donc d'Ichijo-san « l'élève C ».

Ichijo :

Absolument ! Vous m'avez présenté avant que je n'aie le temps de le faire moi-même ! (rire) Je m'appelle Yuji Ichijo et je suis en effet « l'élève C ». Je n'ai été intégré à ce projet qu'en cours de route, vous pouvez donc considérer que j'ai été en quelque sorte transféré en tant qu'élève. Sur ce titre, j'ai essentiellement travaillé sur la partie système, à savoir l'utilisation des capacités de la Nintendo 3DS.

Iwata Asks
Iwata :

Avant que nous ne nous penchions en détail sur le logiciel, je me demande si Terasaki-san et Tancred pourraient me parler un peu de la manière dont est née la collaboration entre Headstrong Games et Nintendo.

Terasaki :

Bien sûr. Je m'étais dit que vous me poseriez probablement cette question, j'ai donc fait quelques recherches. J'ai rencontré Tancred pour la première fois en août 2003.

Iwata :

Il y a donc neuf ans précisément.

Terasaki :

C'est exact. J'étais allé à Londres visiter les studios Kuju avant même la création de Headstrong Games. J'y étais pour jeter un œil au prototype du futur Battalion Wars3. C'est à cette occasion que j'ai fait la connaissance de Tancred. 3 Battalion Wars : jeu de stratégie commercialisé en Europe en décembre 2005 pour Nintendo GameCube. Une suite pour Wii est sortie en février 2008.

Iwata :

Tancred, puis-je vous demander quelles ont été vos premières impressions quand vous avez commencé à travailler avec Nintendo ?

Tancred :

Comme Terasaki-san vient de le dire, neuf ans se sont écoulés depuis cette première rencontre, me projeter en arrière pour tenter de me remémorer tous les détails de cette première rencontre est donc assez difficile, mais je sais que j'avais trouvé cela vraiment enthousiasmant. Quand le développement de Battalion Wars a débuté, j'ai pu expérimenter l'approche unique de Nintendo et j'ai appris quelle philosophie la société applique en matière de game design.

Iwata :

Vous avez donc fait deux titres Battalion Wars, puis vous êtes passé à Art Academy.

Tancred :

Exact.

Iwata :

On n'imagine pas que les mêmes personnes sont derrière deux titres aussi différents. Tous deux sont issus de genres totalement différents et leurs objectifs respectifs sont eux aussi très distincts.

Iwata Asks
Tancred :

Oui, vous avez raison ! (rire)

Iwata :

Pourriez-vous me dire d'où est venue l'idée du jeu Art Academy, au départ ?

Tancred :

Le studio de développement dans lequel je travaille se concentrait à l'origine sur des jeux de guerre ou d'horreur. Il est très difficile d'expliquer comment nous sommes passés de cela au travail sur Art Academy, mais si je devais identifier un élément, je dirais que cela est lié à l'importance que nous avons toujours attachée au style artistique dans nos jeux.

Iwata :

Vous développiez des jeux dans lesquels vous portiez une grande attention au style artistique.

Tancred :

Oui, c'est cela. Quand j'ai ensuite eu l'occasion d'étudier le matériel pour Nintendo DS, je me souviens m'être demandé à quoi exactement le stylet pourrait être utilisé. J'ai réalisé que l'on pourrait s'en servir pour faire des dessins, que l'écran tactile pourrait fonctionner comme une toile ou un carnet de croquis et que les didacticiels pourraient s'afficher sur l'écran supérieur. Ces idées me sont venues l'une après l'autre.

Iwata :

Le concept de base d'Art Academy vous est donc venu comme cela, tout simplement.

Tancred :

Tout à fait. Par ailleurs, vous venez de dire que l'on n'imaginerait pas que l'équipe qui a créé Battalion Wars puisse être à l'origine d'un titre tel qu'Art Academy et je crois que vous avez raison. C'est pour cette raison qu'il fallait que je réussisse à convaincre la direction de Kuju avant de soumettre mon idée à Nintendo.

Iwata :

J'imagine que vos collègues ont été très surpris quand une équipe qui travaillait sur des jeux de combat stratégique a soudain annoncé qu'elle voulait développer un logiciel d'initiation à l'art.

Tancred :

Oui, en effet. Quoi qu'il en soit, nous avons créé un prototype pour le logiciel et avons réussi à obtenir l'accord de notre société avant de le montrer à Terasaki-san.

Iwata :

Terasaki-san, il était évident que la première personne de chez Nintendo à découvrir ce prototype deviendrait ensuite le moteur du développement du projet, en jouant le rôle « d'élève A ».

Terasaki :

C'est juste.

Iwata :

Qu'est-ce qui vous a convaincu de vous impliquer autant dans ce projet ?

Terasaki :

Lorsqu'on travaille dans une société de jeux vidéo, on est entouré par un grand nombre d'artistes professionnels. Je suis certain que ce que je vous dis vous parle, Iwata-san !(rires)

Iwata :

Absolument. Nous sommes entourés d'artistes vraiment talentueux !(rires)

Terasaki :

Dans ce genre d'environnement, on finit par se dire : « Je ne sais vraiment pas dessiner ! »

Iwata Asks
Iwata :

Quelle est votre formation de départ ?

Terasaki :

L'électronique.

Iwata :

Alors les cartes de circuits imprimés et...

Terasaki :

Non. Je suis incapable de les dessiner. J'ai toujours détesté le dessin.

Iwata :

Vous détestiez vraiment cela ?(rires)

Terasaki :

Quand j'ai découvert le prototype de Art Academy, j'avais parfaitement conscience d'être très mauvais en dessin, mais j'ai décidé de me forcer à passer une demi-heure à essayer de créer quelque chose avec le logiciel. J'ai demandé au développeur de faire en sorte que les leçons durent à peu près trente minutes. J'ai ensuite essayé de dessiner une pomme et vous savez quoi ? Eh bien j'ai réussi.

Iwata :

Je me souviens que vous êtes venu me voir pour me montrer votre dessin de pomme.

Terasaki :

C'est vrai. Je me suis dit que si j'étais aussi content d'avoir réussi à dessiner une pomme, beaucoup d'autres personnes ressentiraient la même chose.

Tancred :

Dans la version définitive du logiciel, la leçon suivie par Terasaki-san permettait en effet de dessiner une pomme rouge. Mais pour la version prototype, la pomme était verte. Pour nous, cette pomme verte représentait le feu vert pour la poursuite du projet.

Ichijo :

Voilà une excellente réplique, Tancred-sensei ! (rire)